Analyses
L’importance de la discipline sur le long terme
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Global Equity Observer
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mai 28, 2024
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mai 28, 2024
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L’importance de la discipline sur le long terme |
La gestion d’un portefeuille d’actions cotées pour le compte de clients est un exercice d’une transparence extrême. Au quotidien, les investisseurs peuvent suivre de très près leurs performances et les comparer à un indice qu’ils cherchent à répliquer. Nos performances absolues à long terme dépendront de celles de quelques dizaines d’entreprises figurant dans nos portefeuilles, mais notre performance relative est déterminée par l’évolution de près de 1 500 autres valeurs.
Et les performances de ces valeurs dépendent des décisions de millions d’intervenants sur les marchés financiers. Une petite minorité d’entre eux abordent l’investissement en actions de la même manière que nous mais pas la plupart des autres.
Une multitude d’acteurs intervient sur les marchés actions mais leurs objectifs, mandats de gestion et horizons d’investissement sont souvent très différents. Qu’il s’agisse d’un fonds de dotation universitaire ayant un horizon d’investissement de plusieurs décennies, d’un trader achetant une option d’achat « zéro day» sur l’indice S&P 500 en ouverture de séance, d’un hedge fund market neutral adoptant une stratégie long-short sur les marchés actions ou d’un administrateur de fonds de pension cherchant la meilleure façon de faire face à ses engagements à long terme, tous recherchent de la « performance », mais ils s’appuient clairement pour cela sur des stratégies très hétéroclites.
Comme le dit Morgan Housel dans le premier chapitre de l’ouvrage « The Psychology of Money », « personne n’est fou ». Les décisions parfaitement raisonnables d’un acteur peuvent sembler irrationnelles à un autre. Se positionner sur un « meme stock » dont la valorisation, impossible à expliquer, monte en flèche après une tempête de hashtags sur les médias sociaux, peut ressembler à une pure folie pour un investisseur adepte de la gestion fondamentale sur actions. Mais une telle stratégie peut se révéler très rentable pour un trader spécialiste du momentum, qui n’est là que pour emprunter une action pour quelques jours, voire quelques heures.
Certains thèmes d’investissement dominent parfois le marché pendant des mois, des trimestres, voire des années, ce qui nous oblige à expliquer lors de nos publications trimestrielles pourquoi nous ne sommes pas (suffisamment) exposés aux segments les plus prolifiques du marché. Les valeurs technologiques non rentables étaient à l’honneur pendant la période de l’« argent gratuit » marquée par la COVID, mais c’est désormais l’IA générative qui domine le marché. À l’inverse, certains segments de marché pourraient devenir complètement désuets et jugés « non-investissables » par les investisseurs en quête de performances à court terme.
Pour ceux à la recherche d’investissements « thématiques », les multiples de valorisation qu’ils sont disposés à payer ne sont souvent qu’un facteur secondaire. Leur priorité est plutôt de déterminer combien de temps la thématique choisie restera d’actualité et continuera à doper les marchés, afin d’attirer plus d’acheteurs dans l’univers concerné. En d’autres termes, pour ces acteurs, l’essentiel n’est pas de déterminer la valeur intrinsèque à long terme des flux de trésorerie futurs, mais de deviner ce que d’autres personnes seront prêtes à payer pour acheter telle ou telle action.
Ces changements d’humeur des investisseurs se traduisent le plus souvent par des réajustements à la hausse et à la baisse des multiples de valorisation à court terme, un exercice de prévision auquel nous consacrons très peu de temps. Nous cherchons plutôt à vérifier et à revérifier encore et encore que notre portefeuille est bien composé de ces rares entreprises capables de capitaliser sur un capital opérationnel affichant une rentabilité élevée et durable, et affichant des valorisations raisonnables sur la durée.
Il est intéressant de décomposer les facteurs de performance du marché en fonction de l’horizon d’investissement. Quelle que soit l’année concernée, les multiples de valorisation sont souvent le moteur des performances des actions. Toutefois, dans une optique à long terme, l’importance des multiples dans l’augmentation des performances diminue au fur et à mesure que l’horizon d’investissement s’allonge. Si l’on ventile les performances annualisées de l’indice MSCI World entre la croissance des bénéfices, les variations des multiples et les dividendes sur l’année close le 31 décembre 20231 , le multiple représente 68% de la performance totale, mais 43% sur cinq ans, 20% sur dix ans et seulement 4% sur vingt ans. Entre le 1er janvier et le 31 mars 2024, il a même représenté 85% de la performance totale ! En revanche, la croissance des bénéfices ne représente que 24% sur un an, mais jusqu’à 71% sur 20 ans. En d’autres termes, la capitalisation des bénéfices (agrémentée d’une certaine valorisation du capital) est bien le moteur de la création de richesse à long terme sur les marchés boursiers.
Je me permets d’illustrer ce point en utilisant notre investissement dans une société européenne du secteur du luxe. Nous avons intégré son action dans certains de nos portefeuilles mondiaux alors que le marché atteignait un plus bas en mars 2020, en raison des incertitudes suscitées par la pandémie de Covid. Avec un multiple de bénéfices à 12 mois de seulement 20 fois2, le timing de notre investissement s’est révélé judicieux, puisque l’action était proche de la limite inférieure de sa fourchette de valorisation. Une chance qui ne devrait pas se répéter très souvent ! La remontée ultérieure de sa valorisation vers un multiple plus normalisé d’environ 110 % de ses prévisions de bénéfices à 12 mois qui a été le véritable moteur de ses excellentes performances boursières.3 Autrement dit, même avec un multiple d’entrée « chanceux », la capitalisation de la valeur n’est possible que lorsque les bénéfices sous-jacents d’une entreprise enregistrent une croissance soutenue.
Cela ne veut pas dire que nous ne nous intéressons pas aux multiples. Dans le cadre de notre approche d’investissement, nous cherchons surtout à vérifier que les valorisations, sur la base des bénéfices opérationnels sur longue période, semblent raisonnables et justifiées par les fondamentaux. Nous avons une double exigence, à la fois sur la capacité des entreprises en portefeuille à capitaliser leurs bénéfices et sur le multiple de valorisation que nous payons. Cependant, nous ne passons pas notre temps à essayer de prédire l’évolution des multiples à court terme en fonction du positionnement, du sentiment ou de l’exposition du marché à un thème spécifique.
Alors que le marché cherche à tout prix à identifier la prochaine grande innovation ou à prendre le train du MOMO (trading de momentum) en marche, avec une performance relative souvent dictée par des variations marquées des multiples d’un nombre extrêmement restreint de titres de mégacapitalisation, notre approche demeure inchangée. Notre objectif est de trouver des entreprises présentant une valorisation raisonnable capables de capitaliser leurs bénéfices avec une forte rentabilité du capital lors des périodes fastes mais aussi, et surtout, lors des périodes difficiles, et qui sont dirigées par de bons gestionnaires disposant d’un cadre solide d’allocation du capital.
Comme l’a souligné le responsable de notre équipe, William Lock, dans notre publication Global Equity Observer de février 2024, « La qualité vaut la peine d’attendre » : « Notre approche d’investissement consiste à identifier les entreprises de grande qualité capables d’accroître leur valeur sur la durée. Le secret, que nous avons appris, c’est d’être suffisamment patient et d’attendre qu’elles « capitalisent». Soyez la tortue courageuse dans une course avec des lièvres « dopés à la hype ».
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Executive Director
International Equity Team
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